Cérémonie de remise de photos à l’ambassade de Chine en France (PHOTO FOURNIE PAR MARCUS DÉTREZ)
Le 4 août, Marcus Détrez, un Français de 27 ans, a été honoré à l’ambassade de Chine en France pour son don de 618 photos historiques au Musée mémorial de Shanghai Songhu, un geste mémoriel salué lors d’une cérémonie officielle. Ces images inédites documentent les atrocités perpétrées par l’armée japonaise durant la guerre d’agression contre la Chine (1931-1945).
Ces images ont été transmises par son grand-père maternel il y a près de 90 ans, alors présent durant le conflit. « La vérité est le fondement de la paix », affirme-t-il. « Sans une connaissance des tragédies qu’a subies la Chine pendant la Seconde Guerre mondiale – notamment dans les sociétés occidentales –, le monde ne pourra jamais accéder à une paix véritable. »
Des clichés qui brisent le silence
L’histoire débute en 2021. Alors qu’il fouillait le garage de chez ses parents, Marcus a découvert dans une vieille malle des photos oubliées depuis des décennies. Son grand-père maternel, Roger-Pierre Laurens, arrivé à Shanghai en 1935, y avait été intendant dans une plantation de la concession française. Témoin impartial des agressions qui secouaient la Chine, il avait préservé ces images pour la postérité, certaines capturées par son objectif, d’autres obtenues grâce à des échanges.
Ces photographies, des tirages originaux sur papier gélatino-argentique des années 1930-1940, recèlent une puissance historique brute. Au verso de nombreuses images, les annotations manuscrites de Roger-Pierre Laurens documentent le contexte ; certaines portent même des taches de sang séché, vestiges glaçants de la barbarie de l’époque. Fumées des champs de bataille de Shanghai, civils massacrés dans les ruelles… ces témoignages visuels ont ébranlé Marcus jusqu’au plus profond de lui-même. « Chaque fissure sur ces photos est une cicatrice de l’Histoire », confie-t-il, la voix nouée. « Leur silence doit enfin être brisé. »
Ce qui l’anime va bien au-delà de la seule force évocatrice de ces images : une blessure familiale intime y puise aussi sa source. « Ma propre famille a été victime de cette guerre », confie Marcus. Cette fusion entre le récit intime et la mémoire collective constitue le ferment même de son engagement.
Pour Marcus, ces clichés incarnent la mémoire vivante des souffrances d’un peuple entier, et leur légitime destination ne pouvait être autre que la Chine. Un périple de 18 mois a été nécessaire – depuis sa première démarche de donation à Shanghai en février 2024 jusqu’à la cérémonie officielle parisienne d’août 2025 – où il a œuvré sans relâche aux côtés de ses amis, Bastien Ratat et Zhong Haosong.
« Notre but n’était pas de devenir des héros, ni d’obtenir une récompense, insiste-t-il. Les véritables héros sont les victimes figurant sur ces photos. Quiconque connaît la vérité a le devoir de s’élever pour donner la parole au peuple chinois, qui a payé un si lourd tribut durant la Seconde Guerre mondiale, et de reconnaître ses souffrances et ses sacrifices. »
Marcus Détrez présente des photos de la Guerre de résistance du peuple chinois contre l’agression japonaise.
Une mémoire tronquée
Pour approfondir leur compréhension de cette sombre période, Marcus et ses deux compagnons ont entamé, suite à la cérémonie de donation, une immersion historique en Chine. Leur parcours les a d’abord conduits au Musée des preuves des crimes de guerre commis par l’Unité 731 de l’armée impériale japonaise à Harbin, où les preuves accablantes des expérimentations humaines et de la guerre bactériologique les ont bouleversés. « Les scientifiques sont censés guérir le monde, mais ici la recherche visait à tuer avec efficacité. C’est triste et abject », exprime-t-il la voix tremblante.
Plus alarmant encore à ses yeux est le déni historique qui perdure. « Le refus japonais de reconnaître ses crimes de guerre prend sa source dès l’après-guerre », explique-t-il avec gravité. « Les États-Unis, en échange de données sur la guerre biologique, ont accordé l’immunité à des criminels de guerre japonais, instituant ainsi une culture politique japonaise de négationnisme historique. » Pour Marcus, ce silence calculé sur les massacres et l’histoire de l’agression reste aujourd’hui un angle mort dans le paysage politique japonais – au point que certains tentent même d’effacer ces pages des manuels d’histoire.
Lors de la projection du film historique Le studio photo de Nanjing, les images de civils martyrisés par l’armée japonaise ont fait écho de façon troublante aux scènes figées dans ses archives familiales. Submergé par les larmes, Marcus exprime son regret que sa famille n’ait pas rendu ces photographies publiques plus tôt. Il insiste sur l’objectif de sa démarche : « Notre but n’est pas d’attiser la haine, mais de révéler la vérité pour que justice et paix puissent renaître. »
Le long chemin vers la vérité
L’initiative de Marcus et de ses deux amis a suscité un large écho en Chine, mais reste méconnue en France et dans le reste de l’Europe.
Il perçoit ce non-dit comme inquiétant : « L’Occident garde le silence sur cette histoire, comme il l’a déjà fait durant la guerre face à l’invasion japonaise en Chine. Je crains que cette amnésie ne se répète. »
C’est précisément ce qui lui fait sentir le poids de sa responsabilité : « J’ai donc le devoir de faire connaître à mes amis français, européens et américains, la vérité historique de ce qui s’est passé à Nanjing et à travers la Chine. »
Évoquant l’avenir, Marcus exprime son espérance : « La Chine a été une victime de l’agression durant la Seconde Guerre mondiale, et non un pays agresseur. » Constatant la non-implication de la Chine dans les conflits actuels dans le monde, il conclut avec ferveur : « J’espère et suis convaincu que la Chine peut guider le monde vers la paix. »
Marcus et ses compagnons bâtissent aujourd’hui une ambitieuse démarche mémorielle : créer une association et une plateforme numérique dédiées à cette transmission, écrire un livre mêlant leur histoire familiale à la Résistance chinoise, produire un documentaire, et monter une exposition itinérante internationale pour faire connaître ces archives au public occidental.
Leur action s’inscrit dans un mouvement plus large. Pendant des décennies, la mémoire de la Seconde Guerre mondiale s’est focalisée sur le front européen, reléguant au second plan le théâtre asiatique. Les quatorze années de résistance chinoise contre l’agression japonaise – et ses dizaines de millions de victimes – peinent toujours à trouver leur juste place dans le récit historique occidental.
Depuis quelques années, de nouvelles figures comme l’Américain Evan Kail, le Japonais Daito, ou encore le Français Marcus Détrez émergent parmi les défenseurs d’une mémoire historique plus équilibrée. À travers des initiatives citoyennes, ils reconstituent patiemment le puzzle historique, collectant et authentifiant des preuves dispersées à travers le globe.
Comme le souligne Marcus, il espère que ses efforts « inciteront davantage d’Occidentaux, particulièrement les jeunes, à faire vivre cette mémoire ». Cette transmission, selon lui, est la clé d’une réconciliation avec l’Histoire – une mémoire enfin débarrassée de ses angles morts et partagée équitablement entre toutes les nations.