Les bottes du Souvenir, symbolisant le service et le sacrifice des Canadiens qui se sont embarqués à Halifax pour combattre en Europe, présentées sur la place CIBC lors d’une cérémonie commémorant le 80e anniversaire de la victoire en Europe, à Toronto, le 8 mai 2025
L’ombre de la guerre a toujours plané sur l’histoire. Pourtant, même aux heures les plus sombres, la lumière de l’humanité a su percer les ténèbres, telle une étoile guidant les consciences.
Le sauvetage des prisonniers britanniques du Lisbon Maru par les pêcheurs de Zhoushan pendant la Seconde Guerre mondiale, ou la protection des civils chinois par John Rabe durant le massacre de Nanjing, incarnent cette lueur d’espoir. Ces actes héroïques transcendent les frontières et les différences, dépassant le simple courage individuel pour devenir des fragments vivants de la mémoire collective.
Ils nous rappellent que l’essence de la paix s’enracine dans l’entraide humaine, la reconnaissance mutuelle et la dignité partagée entre les peuples.
La compassion ne connaît pas les frontières
C’est dans les contextes extrêmes que l’essence profonde de l’humanité se révèle.
En 1942, le navire japonais Lisbon Maru, transportant près de 2 000 prisonniers de guerre britanniques, a été torpillé au large de Zhoushan (Zhejiang). Sous la menace des tirs japonais, des pêcheurs locaux ont sauvé 384 soldats britanniques en risquant leur vie – un acte instinctif de solidarité humaine, pur de tout calcul. Au milieu de la cruauté de la guerre, ces pêcheurs ont fait jaillir la lumière intacte de la bonté humaine. Une bonté qui abolit toutes les différences pour toucher au cœur commun de notre humanité.
Le massacre de Nanjing entre décembre 1937 et février 1938 a ébranlé la conscience mondiale par son inhumanité. Face à des crimes de guerre d’une barbarie inouïe, l’homme d’affaires allemand John Rabe a fait le choix héroïque de créer une zone de sécurité internationale, sauvant près de 250 000 civils chinois. En même temps, il a consigné dans ses carnets les monstruosités commises par l’armée japonaise, documents qui constituent aujourd’hui l’une des preuves historiques les plus accablantes et irréfutables de cette période. Par son engagement, il a refusé l’indifférence face à la souffrance, avec un courage de conscience qui rappelle avec force que l’humanité se mesure à sa résistance à la barbarie, même dans les pires circonstances.
Un acte de bravoure devient histoire
Ces actes de courage humanitaire ne se limitent jamais à l’instant où ils se sont accomplis. Ils traversent le temps et tissent des liens durables.
Lors du drame du Lisbon Maru, l’intervention désintéressée des pêcheurs chinois a semé dans le cœur des rescapés une profonde gratitude. Des décennies plus tard, ces soldats et leurs descendants ont entrepris un pèlerinage vers la Chine pour remercier les familles de leurs sauveteurs. Ces retrouvailles, empreintes d’émotion, ont transformé une histoire de survie en une mémoire collective.
Ce dialogue entre générations et nations rappelle une vérité essentielle : l’entraide et la gratitude peuvent vaincre l’oubli. Plus qu’un récit historique, cette transmission est un pont entre les peuples, une lumière persistante contre les ombres de la guerre.
L’action de John Rabe à Nanjing a marqué durablement les relations sino-allemandes. Son petit-fils, Thomas Rabe, a poursuivi cette mission en diffusant le journal de son grand-père et en favorisant des échanges médicaux entre les deux pays. Cette démarche, fidèle à l’esprit familial, a contribué à renforcer les liens d’amitié bilatéraux.
En Chine, la mémoire de John Rabe reste vivante. La gratitude du peuple chinois s’est transformée en soutien actif pour le rapprochement sino-allemand. Ce dialogue, nourri par la reconnaissance mutuelle, a élevé l’acte héroïque individuel de Rabe au rang de symbole de coopération culturelle. Cette histoire montre comment un acte d’humanité peut transcender les frontières et les générations.
La paix se construit au quotidien
La paix véritable ne se limite pas à l’absence de guerre – c’est un choix quotidien, nourri par la justice et l’empathie. Que ce soient John Rabe ou les pêcheurs de Zhoushan, leurs actes incarnent une même vérité : la paix se construit dans l’action concrète.
Chaque vie préservée, chaque geste de solidarité par-delà les frontières, représente une semence de paix durable. Face à la vision hobbesienne d’une humanité vouée à la compétition brutale, ces récits historiques offrent une réponse différente : notre survie même dépend de notre capacité à coopérer.
Les événements du Lisbon Maru et le Journal de John Rabe ne sont pas que des faits historiques – ce sont des preuves vivantes que l’entraide constitue le véritable fondement des sociétés humaines. Loin d’être une utopie, la coopération non violente se révèle être notre stratégie de survie la plus essentielle.
Au cœur de notre existence collective palpite un besoin fondamental d’harmonie et de soutien. Cette aspiration se manifeste dans les intérêts communs, s’épanouit par la tolérance mutuelle, et atteint son apogée dans une symbiose culturelle transcendante. La communauté de destin pour l’humanité en représente l’expression la plus aboutie.
Ces récits historiques, éclairs d’humanité en temps de crise, témoignent de la permanence transgénérationnelle de la solidarité. L’UNESCO y voit d’ailleurs des ressources éducatives essentielles pour incarner sa vision holistique d’une culture de paix – synthèse vivante de respect, de tolérance et de cohésion sociale.
L’approche transformative de l’éducation à la paix y trouve son fondement : développer les capacités à métamorphoser les oppositions en dialogues constructifs. Dans un monde toujours confronté aux conflits et aux défis persistants, ces récits historiques nous rappellent avec force que la bonté humaine et la solidarité constituent nos ressources les plus précieuses.
Ces enseignements nous invitent à honorer toute vie humaine, à pratiquer l’altruisme concret et à encourager les solidarités actives, ouvrant la voie vers un avenir pacifié, où la lumière de notre humanité commune guidera, telle une étoile polaire, les générations à venir.
*LIU CHENG est professeur à l’Institut d’histoire de l’Université de Nanjing et titulaire de la Chaire UNESCO pour les études sur la paix.