Pour se déconnecter du travail, Liu Xinran, une gestionnaire de clientèle de 26 ans qui travaille dans une société de trading à Chongqing, dans le sud-ouest de la Chine, a adopté une stratégie simple : chaque jour, avant de quitter le bureau, elle enferme son smartphone dans un tiroir de son bureau et sort un téléphone basique.
Après qu’elle a commencé ce rituel en juin, la frontière entre sa vie professionnelle et sa vie personnelle s’est renforcée. Avant, elle recevait souvent des messages liés au travail en dehors de ses heures de bureau.
« Utiliser ce genre de téléphone m’aide à éviter les notifications inutiles des discussions de groupe liées au travail. En cas d’urgence, on peut toujours m’appeler », confie-t-elle à Guangming Daily. Pour les activités hors travail, comme le shopping ou les sorties au restaurant, les fonctionnalités d’un téléphone non-smartphone suffisent.
Mme Liu voit cette détox numérique comme un effort conscient pour se déconnecter du monde numérique omniprésent et éviter ce qu’elle décrit comme des « heures supplémentaires involontaires ».
Retour aux sources
Mme Liu fait partie d’un mouvement croissant parmi les jeunes Chinois cherchant à rétablir l’équilibre dans une vie saturée par le numérique. Cette pratique consiste à s’éloigner temporairement des smartphones et autres appareils électroniques pour réduire leur présence en ligne et se concentrer davantage sur les interactions sociales réelles.
Selon le 53e Rapport statistique sur le développement d’Internet en Chine, publié par le Centre d’information du réseau Internet de Chine, la Chine comptait plus de 1,09 milliard d’utilisateurs d’Internet mobile en décembre 2023, soit une augmentation de 25,62 millions par rapport à décembre 2022.
Le rapport souligne que 99,9 % des utilisateurs d’Internet accèdent au web via des téléphones mobiles, avec une durée moyenne de connexion hebdomadaire de 26,1 heures. Cependant, pour de nombreux jeunes, le temps réel passé en ligne chaque semaine dépasse largement cette moyenne.
« Pour beaucoup, les smartphones sont devenus une addiction difficile à combattre », déclare Wang Peng, maître de conférence à l’Académie des sciences sociales de Beijing, à Science and Technology Daily. « Certaines personnes vérifient inconsciemment leur téléphone en permanence, et l’absence de signal peut leur donner l’impression d’être déboussolé. »
Pour échapper à l’emprise des smartphones, certains jeunes se tournent vers des téléphones basiques, qui offrent un mode de vie plus simple et plus concentré. Ces appareils, souvent appelés « mobiles ancienne génération » et autrefois considérés comme dépassés, connaissent aujourd’hui un regain de popularité.
Instants précieux de silence le week-end à la bibliothèque de Hohhot (Mongolie intérieure), le 23 novembre 2024
Song Jia, un programmeur à Beijing, utilise désormais un mobile ancienne génération en tant qu’appareil de secours. « Les mobiles ancienne génération sont très abordables, coûtent généralement moins de 300 yuans et ont une batterie qui dure longtemps », confie-t-il à Beijing Information. Passionné de cyclisme, M. Song apprécie la tranquillité que lui procure son téléphone basique lors de ses sorties à vélo le week-end, ce qui lui permet de profiter pleinement de la nature. Il apprécie également la durabilité de ce téléphone, ce qui le rend idéal pour les activités de plein air prolongées.
Ce passage à des appareils plus simples est motivé par diverses raisons : un désir de concentration accrue, une envie de simplicité, voire la nostalgie. Pour Jiang Chulin, un étudiant en master de Hangzhou (Zhejiang), la décision d’abandonner son smartphone a été nécessaire lors de sa préparation aux examens de master l’année dernière.
« Un smartphone est incroyablement distrayant », déclare le jeune Chulin au journal Xinmin Evening News, basé à Shanghai. « Une fois que vous le prenez en main, il est difficile de le reposer pendant au moins une heure ; avant que vous ne vous en rendiez compte, vous avez perdu beaucoup de temps. » Pour retrouver sa concentration, il a pris la décision, consciente, de passer à un téléphone basique pendant ses sessions de révisions. Les résultats ont été remarquables.
Il admet que cela a été difficile au début. « Il m’a fallu environ une semaine pour m’adapter », se souvient-il. Mais il a rapidement commencé à apprécier la tranquillité que lui procurait l’absence des distractions constantes d’un smartphone. Désormais, il consacre un ou deux jours par semaine à étudier à la bibliothèque, entièrement libéré des tentations de son smartphone. Il a également constaté une amélioration considérable de la qualité de son sommeil.
Les téléphones basiques gagnent en popularité. Un exemple notable s’est produit en juin, lorsque Nokia a relancé l’emblématique Nokia 3210, initialement lancé en 1999. Vendu au prix de 379 yuans, le téléphone s’est rapidement épuisé dès sa sortie, les réapprovisionnements suivants disparaissant tout aussi vite.
Une visite récente d’un journaliste du Jinan Daily dans des boutiques de téléphones à Jinan (Shandong) a encore souligné cette tendance. Fin octobre, des commerçants ont révélé que près de la moitié des acheteurs de téléphones basiques étaient des jeunes. Ils ont rapporté se réapprovisionner de ces téléphones deux à trois fois par mois pour répondre à la demande.
Pour répondre aux goûts et aux besoins des jeunes acheteurs, de nombreux magasins ont même mis en place des espaces d’exposition qui présentent ces appareils dans des couleurs vives et des designs modernes. Malgré leur attrait rétro, ces téléphones ne sont pas entièrement figés dans le passé. Beaucoup incluent désormais des fonctionnalités pratiques comme les paiements par code QR, alliant ainsi simplicité nostalgique et fonctionnalités modernes.
L’appareil photo à basse résolution d’un téléphone basique, autrefois considéré comme un inconvénient, est à présent tendance. Ses photos floues sont désormais appréciées par les jeunes pour leur esthétique rétro, car elles offrent une touche sentimentale dans une époque dominée par des images haute définition, hyperréalistes et souvent très filtrées.
Le Nokia 3210 4G, l’un des téléphones emblématiques de la marque à 379 yuans, est en rupture de stock, le 29 mai 2024.
Reconnecter avec la réalité
Mais tout le monde n’adhère pas à cette nouvelle tendance. Pour certains, passer d’un smartphone à un téléphone basique reste une tendance de niche, car le smartphone est devenu une partie indispensable de la vie quotidienne, et s’en déconnecter peut créer un sentiment de vide.
« L’absence de smartphone peut sembler ennuyeuse au début, mais elle vous pousse à chercher des activités plus engageantes plutôt que de saisir votre téléphone par réflexe », déclare Leon dans une interview avec Chongqing Daily.
Contrairement à beaucoup qui utilisent simplement des téléphones basiques comme alternative, Huang a adopté une approche plus radicale. Depuis 2021, il a complètement abandonné les smartphones. « J’ai opté pour un téléphone de la taille d’une carte bancaire », explique-t-il. « Il n’offre que des fonctions essentielles comme les SMS, les appels, une calculatrice et un lecteur de musique. » Comme ce téléphone ne permet pas les paiements par code QR, Huang emporte toujours de l’espèce, une carte bancaire et une carte de transport public lorsqu’il quitte son domicile.
Pour Huang, il n’était pas seulement question de se déconnecter d’Internet, mais aussi de se reconnecter à la vie de manière plus consciente. « Après être passé à un téléphone basique, mon appareil est redevenu un “outil” », dit-il. Il est plus concentré sur ce qu’il fait. Par exemple, lorsqu’il fait de l’exercice, il n’écoute plus de musique mais se concentre plutôt sur les mouvements de ses muscles. En courant, il se concentre sur chaque pas, en prêtant une attention particulière à la force et à l’atterrissage de chaque foulée.
Il ajoute que lorsqu’il sort, il découvre maintenant de nombreuses choses intéressantes qu’il n’avait jamais remarquées auparavant. « Ces petites découvertes montrent qu’il existe de nombreuses choses intéressantes en dehors du domaine numérique », déclare-t-il.
*YUAN YUAN est journaliste à Beijing Information.