Le robot Tiangong Ultra remporte le titre de champion du semi-marathon des robots humanoïdes de Beijing, le 19 avril 2025.
L’ère des robots à intelligence incarnée s’annonce. Grâce à leur intelligence artificielle, ils sont capables de percevoir, d’apprendre et d’interagir dynamiquement avec leur environnement. Leur émergence s’inscrit dans un contexte où les équipements deviennent sans cesse plus performants et les applications toujours plus variées.
« Lorsque les drones sont apparus pour la première fois, les gens ne savaient pas comment les utiliser », a déclaré Zhang Yueming, scientifique en chef de la société Beijing Chietom Precision Transmission Technology, un fabricant basé à Beijing de réducteurs de haute précision utilisés dans les articulations de robots industriels. « Puis ils ont progressivement trouvé des scénarios d’application. Il en sera de même pour les robots à intelligence incarnée. »
Le nouveau meilleur ami de l’homme
Les entreprises et les services publics s’efforcent de trouver des moyens d’utiliser les robots de nouvelle génération, et les usines constituent l’un des principaux terrains d’application commerciale. L’utilisation de robots à intelligence incarnée dans les usines augmente progressivement, en particulier dans des scénarios extrêmes à haut risque, remplaçant les humains dans des opérations spécialisées. Dans des environnements difficiles et dangereux comme la gestion des déchets nucléaires, les inspections de pipelines de pétrole et de gaz, la lutte contre les incendies ainsi que les inspections de mine, les entreprises espèrent améliorer l’efficacité du travail humain et réduire les pertes humaines grâce à ces robots, qui peuvent être télécommandés et disposent de capacités de prise de décision intelligente.
Actuellement, un certain nombre de robots spécialisés sont déployés dans des scénarios pratiques, tels que les salles de distribution électrique – où sont installés des transformateurs et des appareillages haute tension –, les exercices de déflagration chimique et les gares ferroviaires. « Pour les robots à intelligence incarnée ou les robots humanoïdes, les entreprises nationales et internationales n’en sont encore qu’aux premiers stades de leur développement », a constaté Gao Chao, vice-président du Centre de recherche sur la fabrication avancée de CCID Consulting, un avis partagé par M. Zhang.
La plupart des commandes de robots à intelligence incarnée en Chine proviennent aujourd’hui du secteur de l’éducation. Un rapport de Haitong Securities publié en novembre 2024 indique que les principaux domaines d’application des robots quadrupèdes sont l’éducation et le divertissement, suivis de la recherche scientifique.
De plus, des professionnels de l’événementiel, de la publicité et de la culture louent ces robots pour animer des salons, mettant à profit leurs capacités interactives, leur apparence unique et leurs caractéristiques techniques.
Ils sont également utilisés dans de nouvelles stratégies marketing.
Le robot humanoïde Walker d’UBTECH Robotics dispose de puissantes capacités visuelles pour détecter et reconnaître des visages, des objets et des lieux dans des environnements complexes. Doté d’un excellent équilibre, il s’adapte à différents terrains, et peut être utilisé sur des chaînes de montage en usine. Déjà déployé dans plusieurs salles d’exposition technologique, il a effectué plus de 3 000 apparitions régulières. La troisième génération, Walker X, a fourni des services de réception guidée au Pavillon de la Chine lors de l’Expo 2020 Dubaï pendant six mois.
Un chien robot présenté dans une exposition d’IA à Fuzhou (Fujian), le 8 mars 2025
Les robots comme aides-soignants
Les usines, la logistique et le secteur de l’éducation n’ont cependant que des opportunités limitées d’utiliser ces robots intelligents. Ils sont principalement destinés à certaines tâches spécifiques et relativement simples. Un marché plus large est celui des services à domicile, en particulier la réadaptation et les soins aux personnes âgées.
Selon les données de la Commission nationale de la Santé, la population âgée de 60 ans et plus en Chine devrait dépasser 400 millions vers 2035.
Face à une pénurie d’aides-soignants et à une population vieillissante croissante, les robots à intelligence incarnée peuvent répondre en partie à la demande de services pour personnes âgées.
Les professionnels du secteur estiment qu’il faudra au moins 10 ans pour que les robots à intelligence incarnée entrent véritablement dans les domiciles. Selon M. Gao, les exigences dans ce domaine sont très élevées, l’environnement domestique est plus complexe et changeant, et les tâches sont délicates et variées.
La société américano-norvégienne 1X Technologies, un leader dans le domaine des robots humanoïdes, développe des robots à usage général destinés à évoluer au domicile des particuliers et apprendre des interactions qu’ils ont avec les humains. Ces robots peuvent effectuer des tâches ménagères de base telles que plier des vêtements, ranger des objets, préparer du café, faire la lessive et passer l’aspirateur, bien que leurs mouvements soient relativement lents. En Chine, Fourier, une entreprise basée à Shanghai, conçoit des robots pour la réadaptation médicale, la recherche scientifique et d’autres usages courants. Elle fournit déjà des services à des hôpitaux dans le monde entier et devrait développer à l’avenir des robots pour les tâches ménagères, les soins aux personnes âgées et l’éducation.
Selon M. Gao, le niveau de sécurité et de facilité d’utilisation des robots domestiques doit être très élevé, car ces robots accompagneront jour et nuit des utilisateurs non professionnels. Il y aura donc des préoccupations majeures quant à leur niveau de sécurité. Les accepter et les utiliser est un processus qui devra se faire progressivement.
Le facteur prix
« Les utilisateurs sont de plus très sensibles au prix. Pour entrer dans des milliers de foyers, le prix des produits doit être réduit grâce aux économies d’échelle », a souligné M. Gao.
Le prix de prévente du robot humanoïde H1 d’Unitree Robotics est actuellement de 650 000 yuans. Les fonctionnalités et le prix n’ont pas encore atteint le niveau requis pour une adoption généralisée à domicile.
M. Gao affirme que les mesures gouvernementales jouent un rôle important. Le gouvernement doit en effet encourager davantage de scénarios d’application haut de gamme. Il est nécessaire d’augmenter le soutien financier et fiscal, en particulier pour la R&D, et de coordonner la construction de plateformes publiques telles que les centres de calcul pour robots intelligents et les centres de test et d’inspection.
En octobre 2024, le Centre d’innovation pour les robots humanoïdes de Beijing a été inauguré par le ministère de l’Industrie et des Technologies de l’information (MITI) et le gouvernement municipal de Beijing afin de développer des technologies clés communes à l’industrie.
Les robots à intelligence incarnée suscitent aussi un nouvel afflux d’investissements en capital-risque à l’échelle mondiale, attirant l’intérêt de géants technologiques de divers pays. Selon le rapport Humanoid 100: Mapping the Humanoid Robot Value Chain, une liste des 100 meilleures entreprises mondiales dans le secteur des robots humanoïdes publiée par Morgan Stanley en février, 52 entreprises sont actuellement impliquées dans le développement d’humanoïdes. NVIDIA, OpenAI, Microsoft, Google et d’autres géants technologiques américains investissent dans l’intelligence incarnée. En Chine, les entreprises de robots humanoïdes ont levé des fonds à 74 reprises en 2024, avec 10 transactions finalisées en janvier 2025.
Le robot humanoïde Tiangong montre comment il débarrasse une table au Centre d’innovation des robots humanoïdes de Beijing, le 12 mars 2025.
La Chine dans la concurrence mondiale
En termes de demandes de brevets, la Chine occupe la première place mondiale. Au cours des cinq dernières années, le nombre de demandes de brevets relatifs aux robots humanoïdes était de 5 688. Aux États-Unis, il n’était que de 1 483.
Selon M. Gao, les performances et les capacités de mobilité des robots humanoïdes sont comparables tant au niveau national qu’international. Le robot quadrupède d’Unitree peut réaliser des tâches complexes comme rouler et sauter, et son robot humanoïde peut même danser.
Le rapport de recherche de Haitong Securities publié en novembre dernier a montré que les États-Unis avaient fait plus de progrès dans la commercialisation des robots à intelligence incarnée. Avant leur entrée dans les usines automobiles, un nombre important avait déjà été utilisé dans le secteur de la logistique et du transport, transformant le modèle traditionnel du secteur des transports et effectuant des livraisons commerciales massives.
Après avoir acquis l’entreprise de robotique Kiva Systems en 2012, Amazon a commencé à explorer l’application des robots et des technologies intelligentes dans ses entrepôts et pour la logistique. Le géant américain emploie maintenant plus de 750 000 robots, ce qui en fait l’un des plus grands utilisateurs de robots au monde.
En 2023, Digit, un robot humanoïde développé par Agility Robotics, une société issue de l’Université d’État de l’Oregon aux États-Unis, a collaboré avec GXO Logistics pour effectuer des tâches telles que manipuler des colis, monter des escaliers et traverser des terrains complexes avec des colis, contribuant à réduire de 50 % le temps de transfert entre l’entrepôt et le camion. En août 2024, Digit avait traité 10 000 commandes.
La tâche la plus urgente
« La plupart des nouvelles technologies émergent aux États-Unis. Comment les rattraper voire les dépasser est actuellement la tâche la plus urgente », a déclaré Zhang Yueming. Et M. Gao d’ajouter : « Les robots humanoïdes étrangers sont relativement avancés en termes de capacités opérationnelles, mais nous accélérons pour rattraper le retard. »
En 2023, le MITI a publié une directive pour promouvoir le développement innovant des robots humanoïdes. Un groupe de startups d’intelligence incarnée a rapidement émergé en Chine. La plupart de ces entreprises sont fondées par des personnes ayant un solide bagage technique et tentant de développer des robots plus intelligents et polyvalents.
Selon Nicholas Wright, un neuro-scientifique affilié au Center for Strategic and International Studies, un groupe de réflexion américain, la Chine et les États-Unis possèdent chacun leurs propres avantages dans le développement des robots humanoïdes. Le plus grand avantage de la Chine réside dans la fabrication à grande échelle, tandis que celui des États-Unis est la technologie de pointe détenue par des géants de la Silicon Valley comme NVIDIA, des startups et des universités.
La situation pourrait évoluer à long terme. Morgan Stanley prévoit qu’en 2050, le marché des robots humanoïdes en Chine atteindra 6 000 milliards de yuans, tandis que celui aux États-Unis ne s’élèvera qu’à 1 000 milliards de dollars.
*LI SHIMENG est journaliste à
