Pendant le week-end, de nombreux visiteurs prennent des photos devant l’immeuble Bagong, un bâtiment centenaire, à Wuhan (Hubei), le 18 mai 2025.
Alors que la mondialisation progresse par à-coups, pourquoi la Chine parvient-elle à créer continuellement des miracles de développement ? Et comment parvient-elle, dans un environnement intérieur et extérieur complexe et changeant, à mettre en œuvre efficacement ses objectifs nationaux ? La réponse réside dans la « méthodologie de développement » propre à la Chine. Elle s’incarne par le système de gouvernance par objectifs, dont les plans quinquennaux sont l’expression la plus emblématique.
Ce système reflète un aspect essentiel du modèle chinois de gouvernance de l’État. Son essence réside dans la capacité de l’État à fixer en continu des objectifs cohérents et de garantir leur alignement entre les différents acteurs de la société. Une fois ces objectifs établis, l’État mobilise l’ensemble des ressources de la société pour en garantir la mise en œuvre. Cela explique sa redoutable efficacité dans la réalisation des objectifs nationaux.
C’est précisément cette capacité qui explique les miracles du développement chinois et incarne l’un des grands avantages institutionnels du pays. À travers la gouvernance par objectifs, la Chine a su dépasser l’opposition binaire entre économie planifiée et économie de marché, offrant ainsi une innovation institutionnelle, susceptible d’inspirer la gouvernance mondiale.
Une aide-soignante de la société Anyi accompagne des seniors pour faire des travaux manuels à Sihong (Jiangsu), le 11 janvier 2025.
La vision stratégique et systémique de la gouvernance par objectifs
La modernisation à la chinoise s’inscrit dans une stratégie centenaire claire et ambitieuse. De 1949 à 2049, il s’agit de bâtir une puissance socialiste moderne. Cette vision a été déclinée intelligemment en objectifs intermédiaires correspondant à vingt plans quinquennaux.
Durant les trente premières années (1949–1978), la Chine a réussi à établir un système industriel indépendant et complet. Ensuite, en 40 ans à travers huit plans quinquennaux (1981–2020), elle a accompli l’objectif de bâtir une société de moyenne aisance. Les 30 années suivantes, à travers six nouveaux plans (2021–2050), viseront à faire de la Chine un pays socialiste moderne à tous égards.
La Chine s’apprête à entrer dans la phase du XVe plan quinquennal, à un moment charnière de son parcours centenaire. Ce plan, crucial pour la modernisation à la chinoise, doit tracer les grandes lignes des cinq prochaines années et ouvrir la voie à l’objectif de modernisation socialiste à l’horizon 2035.
La longévité de la gouvernance par objectifs en Chine repose sur la constance de sa direction stratégique à l’échelle d’un siècle, conjuguée à une capacité d’adaptation souple et continue sur les objectifs concrets. Chaque génération reprend le flambeau, et chaque plan quinquennal constitue un jalon cohérent dans cette marche au long cours.
Cette vision stratégique à long terme, pensée sur plusieurs décennies, voire un siècle, contraste fortement avec celle de certains pays. Face à un environnement international complexe et instable, comme en témoignent les frictions commerciales passées, la Chine a su faire preuve d’une remarquable constance stratégique, réagissant aux défis avec calme et assurance. Cette résilience s’ancre dans un modèle de développement unique, fondé sur une planification de long terme. « Tandis que les États-Unis planifient pour la prochaine élection, la Chine planifie pour la prochaine génération », avait résumé Robert Engle, lauréat du Prix de la Banque de Suède en sciences économiques en mémoire d’Alfred Nobel en 2003.
Un autre atout majeur du modèle chinois de gouvernance par objectifs, tel qu’incarné par les plans quinquennaux, réside dans ses politiques systématiques. Chaque objectif stratégique est accompagné d’une architecture politique cohérente en matière de politiques publiques, de réformes institutionnelles et de mécanismes de soutien. Tous sont pensés de manière globale et intégrée. Sous l’impulsion de la planification stratégique, les politiques fiscales, financières, foncières, industrielles, scientifiques et sociales sont alignées, assurant une cohérence d’ensemble entre les orientations macroéconomiques et les objectifs de développement à long terme.
À l’inverse, certains pays peinent à élaborer des politiques cohérentes, faute d’un cadre systématique de gouvernance par objectifs. Ils multiplient les lois et décrets ponctuels, souvent sans coordination d’ensemble. Il en résulte que les mesures se contredisent, leurs effets se neutralisent, et les entreprises, déboussolées par des signaux politiques contradictoires, voient leur capacité d’anticipation et la stabilité du développement socioéconomique sérieusement affectées.
Un médecin parle avec une jeune patiente lors d’une campagne de dépistage et d’assistance pour les enfants atteints de cardiopathie congénitale à Lüliang (Shanxi), le 4 juin 2025.
Mise en œuvre et cohérence de la gouvernance par objectifs
En Chine, les plans quinquennaux ne sont pas de simples déclarations d’intention ; ce sont de véritables feuilles de route dotées d’une force d’exécution remarquable. Grâce à un mécanisme de mise en œuvre bien rodé, une fois les objectifs définis, l’État mobilise rapidement et efficacement les ressources de toute la société pour garantir leur concrétisation. Cela passe par un découpage précis des responsabilités, la déclinaison d’indicateurs contraignants, la répartition des cibles annuelles, ainsi qu’un suivi rigoureux à travers évaluations dynamiques, inspections renforcées et politiques d’incitation coordonnées.
Malgré la pandémie de COVID-19 et les turbulences internationales durant le XIVe plan quinquennal, la grande majorité des objectifs a continué à progresser de manière stable. Cette capacité à passer de la parole aux actes démontre la résilience et la fiabilité de la stratégie chinoise. Elle renforce également la crédibilité de la Chine dans les engagements internationaux, notamment en matière de lutte contre le changement climatique.
La gouvernance par objectifs en Chine ne repose pas sur une transmission hiérarchique unilatérale des ordres, mais met en place une dynamique vertueuse de co-développement entre l’État et les individus. Le gouvernement oriente par des politiques publiques et alloue des ressources tout en respectant l’autonomie des entreprises et des citoyens dans la poursuite de leurs objectifs personnels. Ainsi, les aspirations individuelles sont intégrées à la stratégie de développement nationale, assurant une profonde convergence entre objectifs personnels et stratégie collective.
Les plans quinquennaux allient vision stratégique de haut niveau et attention concrète portée aux besoins fondamentaux du quotidien. Grâce à une consultation large de la population et à une réponse ciblée aux attentes sociales, la Chine arrime la stratégie macroéconomique aux préoccupations microéconomiques. Par exemple, le développement des nouvelles forces productives de qualité inscrit dans les plans est progressivement décliné en politiques industrielles, projets d’investissement et actions d’innovation concrètes menées par les entreprises. Cela garantit une interaction organique entre stratégie nationale et initiatives locales.
Dans la pratique mondiale de gouvernance, les pays sont confrontés à des défis variés. Certains, trop soumis à des cycles électoraux courts, adoptent des approches court-termistes, tandis que d’autres échouent faute de planification systémique. Ils peinent alors à concilier stratégies nationales et besoins de la population. La Chine, en revanche, intègre les aspirations individuelles dans sa vision collective. Ainsi, les préoccupations des citoyens en matière de revenus, de santé, de retraite ou d’éducation sont traduites en plans de développement cohérents et durables par le biais de politiques publiques rigoureuses, créant une synergie vertueuse entre l’intérêt général et les intérêts particuliers.
Des diplômés de l’année en cours posent sur le campus de Moganshan de l’université des Sciences et Technologies du Zhejiang, le 6 juin 2025.
Une contribution chinoise à la culture administrative mondiale
La planification est un patrimoine commun de l’humanité, fruit du progrès institutionnel, et reflète l’aspiration universelle à un développement ordonné. De la pensée de Marx sur la planification nationale aux idées des intellectuels de gauche allemands, en passant par les expériences soviétiques de planification à grande échelle, les concepts de planification ont évolué avec la civilisation humaine.
S’appuyant sur ces idées tout en adaptant le modèle à ses réalités nationales, la Chine a su créer au XXIe siècle une nouvelle forme de planification, qui dépasse les stéréotypes de l’économie planifiée traditionnelle. Ce modèle novateur redéfinit les perceptions et offre de nouvelles pistes pour la gouvernance mondiale, enrichissant la boîte à outils institutionnelle des nations à la recherche de stabilité, d’efficacité et de vision à long terme.
L’idée de planification nationale possède une longue histoire théorique. Dès les années 1930, certains estimaient que l’économie de marché reposait sur des acteurs et une information décentralisés, rendant impossible une planification centralisée efficace. Or, à la lumière de l’expérience chinoise contemporaine, les plans élaborés en Chine ne relèvent pas d’une logique fragmentée, mais bien d’une planification fondée sur une connaissance globale et intégrée, couvrant les savoirs essentiels au bon fonctionnement de la société humaine.
Dans le domaine de la connaissance holistique, la planification s’impose comme l’outil le plus pertinent. À l’inverse, dans les domaines microéconomiques nécessitant la remontée d’informations depuis la base, le marché demeure plus efficient. Le génie de l’expérience chinoise réside précisément dans la combinaison organique de la main invisible du marché et de la main visible de la planification, chacune intervenant là où elle est la plus performante, créant ainsi une synergie entre coordination étatique et dynamique marchande.
Les plans quinquennaux de la Chine sont désormais des plans de développement nationaux complets, englobant les dimensions économique, sociale, culturelle et écologique. Ils constituent une forme aboutie de planification de la connaissance intégrée. C’est une contribution précieuse à la réflexion mondiale sur les modes de gouvernance du XXIe siècle qui permet à l’humanité de bénéficier de la « sagesse chinoise » pour faire face aux défis communs. À travers sa pratique unique de la gouvernance par objectifs, la Chine propose au monde une voie originale pour imaginer les modèles de gouvernance du futur.
*YAN YILONG est professeur à l’École d’administration publique de l’Université Tsinghua.