Le 8 février, au TCL Chinese Theatre d’Hollywood, à Los Angeles, des centaines de spectateurs ont retenu leur souffle lorsque le jeune Nezha est sorti en brisant la sphère de chair sur grand écran lors de la première nord-américaine du film d’animation chinois Nezha 2. Au 13 février dans la soirée, le box-office mondial (y compris les préventes) de Nezha 2 avait dépassé les 10 milliards de yuans, devenant ainsi le premier film chinois à franchir cette barre.
Les Roues de vent et de feu de l’enfant démon Nezha ont ainsi fait une entrée fracassante sur la scène internationale. « Les images sont émouvantes. On rit aux éclats et on verse de chaudes larmes. J’ai tellement pleuré quand j’ai vu Madame Yin dire adieu à Nezha que mon maquillage a coulé », a écrit sur son compte de réseau social Jiang Zihan, qui étudie à l’étranger. En plus de sa sortie officielle en Amérique du Nord le 14 février, le box-office des préventes de Nezha 2 en Australie, en Nouvelle-Zélande et dans d’autres pays a largement dépassé les attentes. Les tickets dans les IMAX de Sydney ont été vendus en quelques secondes, et restent toujours difficiles à obtenir pour les projections supplémentaires dans les cinémas de Toronto. L’immense affiche sur Times Square à New York traduit les attentes des cinéphiles du monde entier. « Les films chinois font tomber les barrières culturelles avec des récits de classe mondiale », remarque le producteur américain Robert King.
Créer des contenus de qualité
Lorsque le public s’est levé et a applaudi à tout rompre à la fin de la première nord-américaine de Nezha 2 le 8 février, on se serait cru à la première de The Wandering Earth aux États-Unis il y a six ans, note Wang Yichao, un autre étudiant international.
« S’il y a eu un tonnerre d’applaudissements, certains détails ont changé », explique-t-il, précisant que cette fois-ci, plus d’un quart du public de la première était américain et que le film a surfé sur la vague des festivités du Nouvel An chinois en Amérique du Nord. Sur le Hollywood Walk of Fame, un Marché du patrimoine culturel immatériel de la fête du Printemps avait d’ailleurs été organisé en même temps. Les cinéphiles ont réagi immédiatement et les réservations sont parties en quelques secondes, tout comme en Australie et en Nouvelle-Zélande.
Qu’y a-t-il derrière ce phénomène ? Comme le remarque le réalisateur Jiaozi (le sobriquet de Yu Yang), le public est « perspicace ». Le film a ainsi gagné la confiance des spectateurs étrangers qui ont été séduits par son scénario soigneusement élaboré.
« L’humanisme est une caractéristique essentielle des œuvres cinématographiques et télévisuelles de qualité », note Meng Dehong, directeur adjoint de la base de recherche de Beijing pour les échanges culturels sino-étrangers à l’Université des langues étrangères de Beijing. Qu’il s’agisse de la représentation de Nezha avec son aura de ténacité et de courage, des discussions intergénérationnelles que suscite le couple de Li Jing, en passant par des personnages de démons et d’immortels aux destins différents, tous ces éléments sont profondément enracinés dans le cœur des gens à travers la création de personnages et la conception de l’intrigue. Les rires et les larmes du public donnent au personnage de Nezha une dimension humaine et en font un être de chair et de sang.
Si le film Nezha 2 est tiré de la mythologie traditionnelle chinoise, comment trouver un équilibre entre création locale et expression globale ? La technologie crée un festin visuel qui élimine subtilement les barrières qui pourraient empêcher le personnage de Nezha de percer à l’étranger. Le film combine l’esthétique des peintures murales de Dunhuang, l’architecture des tulou de Yongding et le style cyberpunk. Il fait usage d’un rendu dynamique à l’encre développé indépendamment pour donner au dessin à l’encre traditionnel un aspect futuriste via l’animation 3D. « Nous avons laissé les éléments mythologiques dialoguer avec l’esthétique moderne, en conservant le charme oriental tout en lui donnant un aspect nouveau et familier pour le public mondial », déclare Ge Yi, codirecteur de l’animation de Nezha 2.
Les œuvres cinématographiques et télévisuelles de qualité peuvent aussi donner matière à réflexion. « La popularité de Nezha 2 à l’étranger est due à sa dimension visuelle ainsi qu’à l’universalité du récit et à l’innovation dans son expression », affirme M. Meng. Et de préciser qu’une ligne mince sépare la curiosité culturelle du spectacle culturel. En grandissant, Nezha passe de la rébellion à la prise de responsabilité, de la confrontation à la réconciliation, des thèmes qui résonnent fortement avec la quête de courage et d’identité. « C’est l’âme du personnage de Nezha et la clé pour combler le fossé culturel. »
« Nous avons éliminé le contexte alambiqué du mythe et nous nous sommes concentrés sur la famille, l’amitié et le processus de maturation, qui sont le langage commun de toute l’humanité », remarque Liu Wenzhang, président et producteur de Chengdu Coco Cartoon. Cette stratégie est similaire à celle de Black Myth: Wukong, qui incarne le concept philosophique de la « dialectique du bien et du mal », et qui a été salué par les gamers du monde entier.
Une propriété intellectuelle rentable et durable
Le succès de Nezha 2 n’est pas un phénomène isolé. Des lanternes de Zigong illuminant plus de 80 pays à travers le monde au jeu 3A Black Myth: Wukong qui a tout raflé sur les Steam Charts, les marques culturelles chinoises s’exportent sur le marché international de différentes manières.
Comment transformer un coup isolé en un écosystème industriel durable ? Si l’on considère l’histoire de Nezha 2 d’un point de vue technique, on trouve en arrière-plan la technologie de rendu et de capture de mouvements développée indépendamment, qui a brisé le monopole hollywoodien, propulsant l’animation chinoise d’un rôle de « sous-traitant » à celui de « producteur de standards ». La forte hausse du cours de l’action de Beijing Enlight Media atteignant la limite maximale autorisée en une journée a confirmé la confiance de la bourse dans le potentiel industriel de l’animation chinoise. De même, les lanternes de Zigong ont transformé l’artisanat traditionnel en produits culturels reproductibles grâce à une conception modulaire et une technologie de contrôle intelligente, avec des exportations annuelles dépassant 1 milliard de yuans.
« La technologie, le capital et les politiques sont tous des éléments indispensables », affirme le professeur Tang Jiqiang, directeur du groupe de réflexion de l’Université de Finance et d’Économie du Sud-Ouest. Il estime que le passage à une industrie structurée est crucial pour transformer les concepts culturels abstraits en réalisations concrètes. M. Tang ajoute que lors du Sommet du secteur culturel et créatif numérique de Chengdu 2022, Liu Wenzhang a prononcé un discours liminaire sur le thème « Promouvoir le développement de haute qualité de l’animation chinoise » et fait des suggestions pour la conception de haut niveau du développement du secteur de l’animation. Selon M. Tang, Nezha 2 reflète les avancées de la province du Sichuan dans les industries culturelles et créatives.
Situé dans la Zone high-tech de Chengdu, le parc culturel et créatif Tianfu Changdao, où se trouvent des entreprises comme Chengdu Coco Cartoon et L² Studio constituant l’équipe de création principale du film Nezha 2, a depuis longtemps formé un « écosystème industriel de 10 minutes ». Du scénario au rendu 3D, en passant par la production d’effets spéciaux et la coordination du doublage, l’ensemble du processus est efficacement coordonné. Ce modèle « plateforme technologique intermédiaire + cluster créatif » réduit non seulement le cycle de production, mais favorise également la mise en place de processus standardisés pour l’animation chinoise. La coopération avec des géants technologiques internationaux ouvre par ailleurs la voie à la distribution mondiale des animations nationales.
Tout cela montre que la vitalité des marques culturelles ne réside pas seulement dans les chiffres du box-office, mais aussi dans leur capacité à s’intégrer dans le tissu économique local et à former un écosystème industriel durable.
L’animation chinoise à l’étranger ne doit pas se limiter à des succès ponctuels au box-office, mais être le point de départ du récit mondial de la culture chinoise. Lorsque davantage de « Nezha » utiliseront la technologie comme un vecteur et la culture comme un moteur pour apporter une contribution majeure au cinéma mondial, les récits chinois pourront véritablement transcender les langues et les frontières, et devenir un trésor spirituel commun de l’humanité.
*WANG JINCHAO et HAN YUXI sont journalistes au Centre de communication internationale du Sichuan.