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Quand les mots abolissent les frontières – une rencontre franco-chinoise au cœur de la littérature

2025-04-17 15:30:00 Source: Dialogue Chine-France Auteur: SONIA BRESSLER*
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Grand Palais, Paris – avril 2025. 

Dans l’écrin majestueux de la verrière du Grand Palais, baigné d’une lumière printanière presque irréelle, le Salon du Livre de Paris a offert cette année bien plus qu’un simple rendez-vous littéraire. Il a été le théâtre d’une rencontre rare, dense et bouleversante entre six auteurs venus de mondes, de langues, de mémoires différentes — mais portés par une même passion : écrire pour dire le monde, pour toucher l’âme, pour ouvrir l’horizon de l’autre. 

Alexandre Arditti, Frédéric Vissense, Sébastien Quagebeur, et côté chinois, Mai Jia, Liu Zhenyun et Zhao Lihong. Ce que leurs mots ont échangé ce jour-là n’est pas traduisible dans la seule langue du dictionnaire. C’est un dialogue de résonances, de silences, de regards, de gestes. Un moment suspendu où les humanités se sont reconnues. 

Un cercle de voix, une constellation d’univers 

Dès les premières minutes de la rencontre, le ton est donné : pas de discours formaté, mais des récits vécus, des fragments de vie, des confessions littéraires. 

Alexandre Arditti, auteur de L’assassinat de Mark Zuckerberg (Route de la Soie - Éditions), ouvre la parole avec cette élégance sobre qui le caractérise. Il évoque ses racines entre cultures, son écriture comme pont entre le réel et la mémoire. Pour lui, « la littérature est une ambassade de l’intime ». En écoutant Mai Jia, maître du roman d’espionnage chinois, on comprend que cette intimité peut aussi revêtir les habits du secret, de l’énigme, du chiffre. L’auteur de L’enfer des codes confie qu’écrire, pour lui, est une manière de rendre visible l’invisible, de décrypter la complexité humaine : « Chaque roman est une opération de décodage, du cœur, de l’Histoire, des zones grises de la conscience. » 

Puis, Frédéric Vissense poursuit cette réflexion en évoquant Bioutifoul Kompany, son premier ouvrage (publié par la Route de la Soie - Éditions), qui explore les limites de la technologie et de l’utopie contemporaine. Dans un dialogue inattendu avec Liu Zhenyun, immense figure de la satire sociale en Chine, les deux auteurs rient ensemble des absurdités bureaucratiques et des silences collectifs. Liu, dans un français ponctué d’humour tendre, confie : « Dans mes livres, je parle du silence entre les gens. Mais aujourd’hui, grâce à cette rencontre, je sens le bruit de la vraie parole. » 

Des histoires entrelacées, des douleurs communes 

Le plus bouleversant, pourtant, fut peut-être ce moment de dialogue entre Zhao Lihong et Sébastien Quagebeur. Le premier, poète majeur de Shanghai, d’une délicatesse presque confucéenne, lit à voix basse quelques vers en chinois. Le second, romancier français, répond en écho avec un fragment de prose sur l’enfance, l’exil et le besoin d’ancrage. On aurait dit deux encres différentes sur le même papier. Zhao Lihong murmure alors : « Nous sommes des gardiens de lumière dans un monde d’ombres. L’écrivain n’est pas un phare, mais une veilleuse dans le cœur de l’autre. » 

Ce jour-là, les auteurs ne parlaient pas de livres, mais d’humanité. Et la salle, comble, retenait son souffle. 

Le mot comme territoire commun 

Ce que cette rencontre a rendu possible, au-delà des mots, c’est une co-présence. Un espace où la littérature ne traduit pas : elle transforme. Chaque auteur, dans sa langue, dans sa sensibilité, dans son regard sur le monde, a apporté une pièce d’un puzzle universel. 

La Chine n’est pas qu’un pays lointain. Elle est, dans les mots de Mai Jia, « une mémoire ancienne qui écoute le présent ». Et la France, loin de l’arrogance parfois projetée, devient chez Frédéric Vissense « une langue qui doute, qui cherche, qui interroge ». Dans cette articulation franco-chinoise, aucun n’a cherché à convaincre l’autre, mais à l’écouter. Loin des tensions géopolitiques, ces écrivains ont incarné ce que les sages chinois appelaient he () — l’harmonie née de la diversité, non de l’uniformité. 

Penser la littérature comme hospitalité 

Il faut ici rappeler une leçon ancienne de Zhuangzi, le philosophe chinois du non-agir et du rêve : « Entre moi et toi, où est la frontière, si nos souffles s’accordent ? » 

Ce souffle partagé, ce fut précisément ce que le public a senti. La littérature devient alors une forme d’hospitalité. Non pas accueillir l’autre pour le convertir à son monde, mais pour lui faire une place dans son propre désordre, dans sa propre quête. 

La Revue Dialogue Chine-France se veut depuis sa création le témoin et l’acteur de cette hospitalité des sens et des lettres. Cette rencontre du Salon du Livre de Paris n’en fut pas seulement une illustration, mais une consécration. 

Dans un monde qui multiplie les murs, les conflits, les peurs de l’autre, il est essentiel de rappeler que les mots ne sont ni français, ni chinois. Ils sont le bien commun des âmes sensibles. Ils sont les traits d’union entre les mémoires blessées, les futurs incertains et les présents lucides. 

Grâce à Alexandre Arditti, Frédéric Vissense, Sébastien Quagebeur, Mai Jia, Liu Zhenyun et Zhao Lihong, nous avons touché cette évidence : la littérature est un geste de paix. Elle ne nie pas les différences — elle les éclaire. Et elle murmure, avec force et douceur : « Nous sommes un seul monde, fait de mille voix. » 

*SONIA BRESSLER est fondatrice de La Route de la Soie-Éditions 

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